Modern Times: 1957-2008
“Everything began with the folk revival.”
Raph Rinzler,
co-fondateur du Festival of American Folklife
Le projet initial d’anthologie, déposé chez Frémeaux & Associés en 2008, comptait quelques 100 titres, répartis en cinq CD. Ils ne peuvent évidemment pas à eux seuls rendre compte de toute la diversité de l'énorme production discographique liée au banjo à cinq cordes. L'ensemble couvre une période de plus d’un siècle et n’a d’autre prétention que de faire entrevoir au grand public la richesse du sujet. Sa première partie comporte deux CD assemblés en un coffret édité en 2008 sous le label Frémeaux & Associés : Le banjo américain à cinq cordes, 1901-1956. Celui-ci est accompagné d’un livret de notices1.
Pour des raisons liées aux droits de reproduction, l'idée initiale de couvrir tout le XXe siècle, n’a malheureusement pu être concrétisée. En fin de compte, la seconde partie, constituée des trois CD restants, n’a donc pu être publiée. Elle était censée parcourir le demi-siècle suivant : les années de 1957 à 2008. Sous le titre Modern Times, nous ne ferons donc qu’énumérer les références des enregistrements qui avaient été sélectionnés, en espérant que le lecteur poursuivre lui-même sa recherche d’exemples sonores sur le web. Il est à remarquer que la charnière entre ces deux ensembles tombe sur un fait historique incontournable : celui de l’explosion du grand folk revival des années 1950. On se souviendra que l’année 1958 fut marquée par la sortie d'un titre qui mit le feu aux poudres : le fameux ’Tom Dooley’ du Kingston Trio, inspiré par le banjoïste Frank Proffitt...
C’est dans la première série que nous retrouverons les artistes actifs de la fin du XIXe siècle à la Seconde Guerre mondiale. La marche s’ouvre avec les cylindres des banjoïstes de l’ère classique. Ils font ensuite place à ce qui constitue le début de la country music, dont la carrière de certains artistes fut réanimée par la renaissance folklorique urbaine. Pour rappel, ce retour au passé est apparenté à la publication par Moe Asch (Folkways Records) de l’Anthology of American Folk Music, compilée par Harry Smith en 1952. Ces enregistrements originaux datent de 1927 à 1932 : une période qui s’étend de l’introduction de procédés « électriques » dans les techniques de prise de son à la chute des ventes des disques, un des effets désastreux de la « grande dépression ». Ils sont, avec les collectages de la Library of Congress, les sources de ce qui sera appelé l’old time music, différente de la country music d’après la guerre.
Disc-cutting equipment2 installed inside an automobile, used in
Archive of Folk Song recording trips in the 1930s and 1940s.
(American Folklife Center, Washington D.C.)
La seconde série reprend donc ainsi des banjoïstes retrouvés : Dock Boggs, Clarence Ashley, Wade Ward, Wade Mainer ou Pete Steele… qui, déjà connus pour leurs disques ou par les collectages, seront littéralement remis en selle par de nouveaux disques ou par des rééditions. D’autres artistes sont bien entendu incorporés à cette seconde partie : des musiciens de la nouvelle génération, des revivalistes – les New Lost City Ramblers, Art Rosenbaum, le Holow Rock String Band… – ou encore des noms issus de nouvelles recherches et de collectages menés dans le Sud des États-Unis. Ce fut le cas pour Tommy Jarrell, Fred Cockerham, Roscoe Holcomb, ou Morgan Sexton… Ceux-ci bénéficieront alors d’une plus large audience et de l’attention de firmes de disques spécialisées qui, en plus des field recordings de la Bibliothèque du Congrès et des disques produits par Alan Lomax3, éditeront ces artistes. Dans le domaine du banjo, une attention spéciale doit être accordée à quelques labels particulièrement importants : Folkways, Vanguard, Elektra, Tradition, Kicking Mule, County… et plus tard : Rounder Records, Smithsonian/Folkways, Field Recorder Collective4…
Après la guerre, le bluegrass5 concurrencé par les nouvelles modes (rock & roll, pop music…) est en perte de vitesse. Invité dès les premières éditions du Newport Folk Festival, il a cependant lui aussi profité de l’élan du revival, prenant même un envol inattendu après la venue des films Bonnie & Clyde et Deliverance, faisant d’Earl Scruggs et d’Eric Weissberg des musiciens de réputation internationale. Leur impact sur la diffusion du banjo fut considérable.
C’est seulement depuis les années 1980 que nous disposons d’interprétations fidèles du minstrel show et du gourd banjo, la plupart du temps sur des copies modernes d’instruments. Parallèlement, le classic style - passé de mode - évolue de nos jours dans un cercle restreint de spécialistes. Bien que sa diffusion soit confidentielle, le niveau atteint par certains interprètes contemporains se révèle remarquable. Cette compilation n’a pas la prétention d’être une anthologie exhaustive. Le choix a été de regrouper les artistes par genres : des classiques et des anciens maîtres du old time au bluegrass contemporain.
Le bluegrass constitue à lui seul un genre bien défini, avec ses règles et ses conventions et mériterait un chapitre pour lui seul6. À la suite de Scruggs, il fut depuis le folk revival le terrain d’expérimentations nombreuses. Les percées de la nouvelle musique acoustique vers les musiques improvisées sortent du contexte traditionnel, mais s’en inspirent, du moins techniquement. Il en sera mentionné quelques exemples, tout en ayant conscience que le genre devrait faire l’objet d’une présentation beaucoup plus détaillée.
Parmi des dizaines de milliers d’enregistrements disponibles, la sélection du matériel de cette modeste compilation fut déchirante. Certains artistes ont une discographie tellement étendue qu’une ou deux plages se sauraient leur rendre justice. Au risque de commettre des erreurs – voire même des injustices –, quelques noms sont mis en évidence par des caractères gras. Pour terminer, soulignons que tant d’autres artistes pourraient légitimement revendiquer ici leur place, à commencer par Don Reno, qui fut considéré comme l’égal de Earl Scruggs, ainsi que de belles personnalités – qu’elles soient renommées, discrètes ou montantes – que l’on ne manquera pas de découvrir tout en allant…
(texte revu en octobre 2023)
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Équipement d’enregistrement mécanique du son sur disque, de la marque Presto Recording Co., installé à l'intérieur d'une automobile, utilisé lors des collectes d'enregistrements entreprises par les Archives of Folk Song dans les années 1930 et 1940. En savoir plus : Encyclopædia Universalis.
(Photo : www.flickr.com) -
Sous le label Atlantic et Prestige Records et plus tard Rounder Records.
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MacNEIL W.K., “Southern Folk Music on Record”, in Southern Exposure, Fall-Winter 1977, p. 54 et suiv.
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Vers 1940, le bluegrass est un genre nouveau d’interprétation de la musique traditionnelle, cantonné dans le Sud et dans les régions qui ont recueilli leurs émigrants : Washington, Chicago, Detroit…
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Des discographies sont disponibles, voir bibliographie.